Et si, ce jour-là, je n’avais pas laissé entrer ce chat chez moi ?

Et si, ce jour-là, je n’avais pas laissé entrer ce chat chez moi ?

C’était un bel été, si bien que je laissais la porte-fenêtre ouverte. Depuis plusieurs jours, mon ex-conjoint et moi avions repéré ce chat errant. Cette petite minette affamée, qui revenait sans arrêt quémander de la nourriture. Un chat très gentil, affectueux. Puis, un jour, j’étais en train de jouer sur l’ordinateur. Et quand je me suis retournée, j’ai trouvé ce chat, en train de dormir sur mon canapé. Ce chat ne m’a plus quittée, je suis tombée amoureuse de cette petite bouille noire et blanche. Jusqu’à ce que mon ex-compagnon ne me la vole, l’emmenant à Paris quand je venais tout juste de trouver un appartement suffisamment grand pour récupérer mon chat, et que je n’en entende plus jamais parler ensuite.

Je me plais souvent à essayer d’imaginer ce qu’il se serait passé dans ma vie si je n’avais pas laissé ce chat prendre ses quartiers chez moi. Il s’agit probablement du plus grand effet papillon dans ma vie dont j’ai connaissance.

Si je n’avais pas laissé mon chat jeter son dévolu sur ma maison, je n’aurai jamais su qu’elle était enceinte. Probablement qu’elle aurait accouché seule, dehors. Oh mon dieu, mon cœur se serre rien que d’y penser… elle n’aurait jamais mérité cela. C’était une telle crème que même le vétérinaire qui a vérifié si elle était pucée nous a dit « vous avez trouvé une perle, ce chat est en grand manque d’affection et n’a pas de maîtres. Ne lui faites pas faux-bond, elle vous a choisi ».

Je n’aurais donc pas eu besoin de trouver de nouveaux maîtres pour accueillir ses rejetons, qu’elle a mis au monde dans ma chambre. Je me souviens encore : nous faisons notre crémaillère, et elle est venue me chercher dans le salon, me tirait sur le pantalon, pour que je la suive dans le couloir où elle avait perdu les eaux. Dès que j’essayais de rejoindre mes invités, elle me barrait la route avec un miaulement plaintif et me tirait de plus belle sur le pantalon avec ses petites dents.

Mais revenons-en aux conséquences. Je n’aurais pas rencontré cette fille de Strasbourg, S., amie d’une amie qui avait entendu que je cherchais à refourguer des boules de poils attendrissantes.

Cette fille ne m’aurait pas invitée à son anniversaire quelques mois après.

Je n’y aurais pas rencontré cet homme, V.

Cet homme que j’ai recroisé le soir du 14 juillet dans la rue, et qui m’a dit « Viens chez moi, je fais une fête ! ». Nouvellement célibataire, j’ai sauté sur l’occasion pour rencontrer de nouvelles têtes.

Si je n’avais pas été à cette fête, je n’aurais pas rencontré T. Et n’aurais pas fini dans ses bras plusieurs mois après.

SI je n’avais pas rencontré T., je n’aurais jamais rencontré B. , un camarade de promo du frère de T., que je croisais de temps en temps en soirée et sur un jeu en ligne.

Lorsque T. m’a quittée, j’ai fait une immense connerie et ai fini par sortir avec B. S’en sont suivies plusieurs années de violences psychologiques auprès d’un individu profondément déséquilibré, qui a petit à petit brisé la confiance que j’avais en moi. Durant ces années, nous étions tous les deux au chômage pendant une période. J’avais passé plusieurs entretiens en Alsace, dans ma région natale que j’aimais plus que tout, mais lui ne pouvait y trouver un emploi.

Alors, à cause de lui, nous avons dû opter pour une plus grande ville. Ce fut moi qui trouvai en premier un CDI bien payé, à Lyon. Alors, nous sommes partis. Je me souviens encore que lorsque mon ancien patron m’a fait une proposition de CDI, une semaine seulement après que j’avais envoyé ma candidature, j’en ai pleuré. Triste de devoir quitter ma région, que j’avais déjà dû quitter une fois pour y revenir seulement à ma majorité. Triste de perdre, une nouvelle fois, tous mes repères et mes amis, moi, l’introvertie, qui ait dû changer de vie trois fois déjà auparavant et tout recommencer à chaque fois.

Après être arrivée à Lyon, j’ai connu mon second burn-out. Je m’effondrai en larmes dans les toilettes, prise en étau dans une agence web où je me sentais pressée comme un citron avec extrêmement peu de reconnaissance.

Alors, forte de mes mois d’observations de T. qui était freelance, je me suis dit que moi aussi, je pouvais le faire. Je me suis lancée, à mon compte, et je ne remercierai jamais assez T., malgré le mal qu’il m’a fait, pour avoir contribué à me montrer ce chemin. Cela fait maintenant 2 ans que je vole de mes propres ailes.

C’était une des meilleures décisions prises ces dernières années. Malheureusement, cet état de grâce n’a pas duré. Les brimades quotidiennes continuèrent de plus belle. Les insultes. Les rabaissements.

Jusqu’au coup fatal où, trompée puis quittée pour une autre, je me suis effondrée. Je n’avais plus aucun repère, car j’avais été entraînée au fait que tout ce que je faisais n’était jamais assez, ou jamais assez bien. Mon attention devait être exclusivement portée sur B., pour le tirer de sa dépression, pour le materner. J’étais toujours sur le qui-vive d’un changement d’humeur résultant en une colère noire avec des objets brisés ou des coups dans le mur, me faisant parfois craindre pour mon intégrité physique. « Tu es trop épanouie, ça me saoule », « Tu aurais dû me forcer à aller voir un psy, c’était ton rôle, ça suffisait pas de me dire d’y aller », « tu étais trop gentille et douce, t’aurais dû être plus dominante », « tu es frigide, j’en ai marre de devoir te séduire, je veux juste pouvoir baiser des fois ». Ceux qui ont lu la BD « tant pis pour l’amour » sauront exactement de quel type de personnalité je parle.

Ce serait trop long de décrire tout ce qui a pu se produire. Mais quand il est (enfin) parti, mon psychisme s’est brisé, et ses deux emails quémandant des photos de mon chat Méroé « qui lui manquait tellement », sans s’inquiéter de mon propre état, y ont largement contribué. J’ai appelé à l’aide, mais je suis tombée sur la mauvaise personne.

J’ai été mise sous antidépresseurs et benzodiazépines par une interne en psychiatrie. Un traitement de cheval à des doses indécentes qui ont choqué de nombreux spécialistes que j’ai vus depuis, y compris deux autres psychiatres « avec de la bouteille », cette fois, et un neurologue.

C’était en mai dernier. Et je sais à présent ce qu’est l’enfer. Cette terreur de basculer dans la folie et de voir tout ce qui fait partie de notre personnalité s’effondrer peu à peu.

C’est là que nous avons appris que j’étais non seulement hyperréceptive aux psychotropes, me valant un tour en ambulance direction l’hôpital, mais qu’il ne m’a fallu que 2 semaines pour devenir dépendante aux benzodiazépines. J’ai failli le payer de ma vie lorsque j’ai malencontreusement retardé de quelques heures une prise.

Lorsqu’après 2 mois j’ai tout arrêté, car je n’en pouvais plus de souffrir des effets secondaires atroces (dépersonnalisation, déréalisation, anhédonie, hypothyroïdie, psychose, vertiges, acouphènes…), je me suis prise en pleine face un syndrome de sevrage des benzodiazépines. Le sevrage des antidépresseurs, réalisé quelques semaines avant à la dose la plus faible possible, était en comparaison un jeu d’enfant avec ses 10 jours d’insomnie carabinée.

Depuis, plus rien ne va.

Tout cela m’a déclenché un syndrome de stress post-traumatique. Une anxiété généralisée. Juste après avoir arrêté les benzodiazépines, je suis devenue agoraphobe. Aujourd’hui, cela fait 8 mois que je n’ai plus rien pris. Et je survis, mais je ne vis pas. Je suis toujours terrorisée à l’idée de prendre le métro. Être loin de chez moi est difficile. J’ai des crises d’angoisses de nulle part. Des vertiges. Probablement, un ulcère à l’estomac, mais grâce au coronavirus, je dois attendre encore plusieurs semaines pour être prise en charge.

Je ne suis plus que l’ombre de qui j’étais, cette personne suffisamment vaillante pour tenir bond face à 4 longues années de maltraitance, joyeuse, introvertie mais qui aime voyager et rencontrer des gens. Être hors de chez elle, pour mieux apprécier le réconfort de son cocon. Mais à présent que le danger est écarté, et que mon cerveau a été retourné par toutes ces substances chimiques, plus rien ne va. Et à ce stade, je ne suis toujours pas persuadée à 100 % de m’en sortir vivante et/ou saine d’esprit. Ce n’est pas pour rien que plusieurs personnes obtiennent un statut d’handicapé aux Etats-Unis après avoir consommé des benzodiazépines, seule substance avec l’alcool et les opoïdes dont le sevrage est susceptible de tuer une personne.

Et pourtant, au travers de B., j’ai rencontré Benjamin, son collègue. Nous étions amis et avions même été à un concert ensemble, bien avant la rupture.

Il a compris ma détresse, m’a tendu une main salutaire, et a su voir au-delà de l’état lamentable dans lequel j’étais. Heureusement, il avait connu le « moi d’avant », celui qui semble toujours là mais caché dans l’ombre de ce processus à la fois psychologique et médicamenteux. Au début, nous nous voyions une fois par semaine pour une soirée Netflix. Pour me tenir compagnie, et il m’apportait à manger car je n’arrivais plus à cuisiner, shootée par les médicaments et le traumatisme.

Et puis de fil en aiguille, nous nous sommes dévoilés l’un à l’autre, et nous nous sommes plu. Nous nous étions vus chacun dans des états très négatifs auparavant et n’avions pas peur de ce que nous risquions de découvrir.

D’une amitié d’abord légère, puis solide, nous avons doucement basculé dans une autre forme de relation.

Cela fait aujourd’hui 7 mois que je suis avec la première personne à me respecter et à m’apprécier pour ce que je suis, et non pour ce que je peux lui apporter.

Tout cela n’aurait pas été possible sans mon chat, Glados.

Sans elle, je n’aurai jamais connu ma première relation saine. Et pourtant, sans elle, je n’aurai jamais perdu ma santé mentale de prime abord.

Finalement, la balance s’équilibre, qu’on le veuille ou non.

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