Le Moyen-Orient, on en parle tous les jours, surtout dans des termes assez terrifiants. Mais savez-vous quels trésors inestimables s’y cachent ? A commencer par l’envoûtante île de Socotra au Yémen. Coupée du continent depuis plusieurs millions d’années, la « Galápagos de l’océan Indien » a poursuivi seule son petit bonhomme de chemin et a développé son propre écosystème, pour un résultat tout à fait spectaculaire ! 

Socotra, l’île du Yémen coupée (aux yeux) du monde

Socotra (ou Soqotra) est une île yéménite de 3 500 km² appartenant au petit archipel du même nom, localisée dans l’océan Indien, et plus spécifiquement dans la mer d’Arabie. Son éloignement des côtes (350 km du Yémen et 250 km de la Somalie), lui offre une biodiversité unique. Elle fait ainsi partie de ces rares endroits du monde qui nous font croire que nous avons troqué l’avion contre une fusée pour atterrir sur une autre planète. Les paysages sont étranges, le climat semi-désertique est hostile, et elle abrite une culture humaine unique partagée par les quelque 50 000 habitants. Vous qui n’aimez pas marcher sur les pieds des autres voyageurs, soyez tranquille : seulement 4 000 touristes ont posé le pied sur Socotra en 2010 !

Localisation de Socotra

Tout d’abord, un petit mot personnel. J’ai beaucoup hésité avant de publier cet article, commencé il y a déjà quelque temps, étant donné le contexte actuel au Moyen-Orient. Socotra est une île relativement épargnée par les conflits, mais fait partie du Yémen, touché de plein fouet non seulement par une guerre civile depuis 2014 opposant loyalistes et houtis, mais aussi par des attentats tour à tour perpétrés par al-Qaïda et l’État islamique qui profitent bien du chaos général. De ce fait, tous les pays occidentaux demandent à leurs ressortissants de quitter le pays, et les liaisons aériennes permettant de rejoindre Socotra sont quasi inexistantes (voir la partie « Comment on va à Socotra ? » ci-dessous).

Après mûre réflexion, deux raisons m’ont poussée à sortir cet article. La première est que Socotra est une île remarquable, peu fréquentée, et qui mérite donc nettement sa place sur Zone Blanche. La seconde est qu’il me semble important de mettre un « visage » sur cette région du monde qui, au-delà d’être engluée dans un capharnaüm sans nom qui fait fuir les touristes, abrite un patrimoine immense mal connu et qui pourrait disparaître d’une simple bombe (Palmyre peut en témoigner). Cet article est donc écrit, au mieux, dans le cas où on puisse y aller en toute sécurité dans le futur, et au pire en tant que témoignage d’un endroit atypique qui ne doit pas être oublié dans notre mémoire collective. Passons aux choses sérieuses maintenant !

Panorama de Socotra, Yémen
Un paysage de dragonniers © honzakrej / Adobe Stock

Ce qui fait la spécificité de Socotra

Une biodiversité développée à l’écart du monde

Une faune et une flore riches ont pu se développer en marge des autres espèces à cause de l’insularité de l’île. Socotra est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2008 et fait partie du Global 200, une liste éditée par la fondation WWF regroupant les 238 régions écologiques les plus représentatives de la biodiversité sur Terre. On estime que 37 % des 825 espèces de plantes sur Socotra sont endémiques de l’île, comptant notamment des arbres à l’allure étonnante comme l’arbre concombre et le Dragonnier de Socotra. On y trouve également sur terre de nombreux reptiles, escargots et oiseaux, et en mer beaucoup d’espèces de poissons, crustacés, tortues et coraux.

Découlant directement de l’insularité de Socotra, sa culture ne s’est pour le moment que peu « diluée » et laissera un sentiment d’authenticité à tout voyageur foulant ces terres. Les habitants parlent le soqotri, une langue non écrite qui prend ses racines dans l’Antiquité. De nombreuses légendes et poèmes sont aujourd’hui encore véhiculés dans cette langue. L’artisanat est également très présent, on peut y trouver des tissus en laine tout comme des produits spécifiques à Socotra, comme la résine de sang-dragon et la résine oliban. La grande majorité de la population vit simplement et exerce des métiers liés à la recherche de nourriture. Si l’on s’aventure dans les zones rurales de l’île, on peut observer les techniques traditionnelles de pêche et les bergers en train de s’occuper de leurs troupeaux !

Une proie géopolitique

Socotra est située à l’embouchure du golfe d’Aden, un endroit stratégique utilisé depuis l’Antiquité à des fins commerciales et militaires (voir « Socotra au fil des siècles » ci-dessous). Aujourd’hui, l’île est située sur un point névralgique du Moyen-Orient dont les enjeux sont mondiaux.

Ce golfe est l’une des routes maritimes commerciales les plus importantes pour acheminer des hydrocarbures et produits manufacturés vers l’Europe (via le canal de Suez) et vers l’Asie (via l’océan Indien) : on estime que 25 000 navires y transitent chaque année, transportant 12 % de la production mondiale de pétrole. Les eaux du golfe sont donc convoitées par beaucoup.

Les actes de piraterie se sont multipliés, obligeant la communauté internationale à militariser la zone, via les opérations Atalante (UE) et Ocean Shield (OTAN). La Somalie, qui n’arrive pas à se mettre d’accord avec le Kenya pour délimiter leurs souverainetés maritimes respectives, revendique Socotra qui n’est qu’à 250 km au large, île déjà utilisée par les pirates somaliens comme base de réapprovisionnement. En février 2016, l’ex puis autoproclamé président yéménite a annoncé son intention de louer Socotra pendant ces 99 prochaines années aux Émirats arabes unis, un témoignage de gratitude pour l’aide apportée par les EAU dans sa lutte contre l’opposition. En 2018, l’armée émiratie s’est déployée sur Socotra, provoquant des tensions pouvant rompre les liens entre les deux pays.

Au final, les habitants de l’île se retrouvent à la merci des différents intérêts de leurs voisins, et nul ne peut prédire à quoi ressemblera Socotra d’ici quelques années tant les enjeux sont nombreux.

Socotra au fil des siècles

Le petit bout de terre qui constitue aujourd’hui Socotra s’est détaché de l’Afrique il y a environ 6 millions d’années pendant l’époque du Pliocène. En 2008, une équipe d’archéologues russes a mis en évidence la présence d’outils préhistoriques fabriqués pendant la période Oldowan, ce qui indique que Socotra a vu défiler des humains depuis au moins 1,7 million d’années !

La première mention écrite de l’île remonte au Ier siècle ap. J-C. dans le récit d’exploration maritime grec « Le Périple de la mer Érythrée », où Socotra s’appelait alors Dioscoride. L’île était un comptoir commercial chrétien à tendances chamanistes situé sur la route de l’encens, véritable plate-forme d’échange de l’océan Indien, et bénéficiait d’une forte popularité du fait de sa production de myrrhe et de sang-dragon. Des inscriptions datant de cette période ont été retrouvées dans des grottes de Socotra, rassemblant pêle-mêle du brāhmī (Inde), de l’arabe, de l’éthiopien, du grec, etc. Le déclin de la route de l’encens fit perdre ensuite à Socotra le grand intérêt que lui portait le monde extérieur.

Après plusieurs siècles où de nombreux navigateurs rapportèrent la présence de pirates sur l’île, le Portugal décida, au début du XVIe siècle, de prendre Socotra au Sultanat Mahri et de l’utiliser comme base stratégique à des fins commerciales (création d’un comptoir et mainmise sur le commerce des épices), religieuses (combat contre un Islam en pleine expansion) et militaires (prise de voiliers arabes avec demande de rançon et combats contre les Mamelouks d’Egypte. Le Portugal abandonna bien vite le territoire, à cause de l’absence de port où mettre les bateaux à l’abri, et de l’impossibilité de nourrir la garnison vu l’aridité des sols. Socotra rejoignit de nouveau le Sultanat Mahri en 1511 et les habitants basculèrent progressivement vers l’Islam les siècles suivants.

Tank russe, Socotra
Un tank abandonné par la Russie pendant la guerre froide bronze tranquillement. © Gerry & Bonni / Flickr / CC BY 2.0

En 1886, Socotra passe sous protection britannique via la mise en place du protectorat d’Aden. Entre 1967 et 1990, l’île appartient à la nouvelle République démocratique populaire du Yémen et accueille quelques Russes dans le cadre de la guerre froide, qui n’en feront pas grand-chose. Le 22 mai 1990, la réunification du Yémen fait naître un nouvel état : la République du Yémen. Il faut attendre 1999 pour que le seul aéroport de l’île ouvre, permettant enfin une connexion régulière avec le monde extérieur, y compris pendant les mois d’été où la navigation est impossible. Socotra devient une région du Yémen à part entière en 2014.

La boîte à outils de l’explorateur

LangueLes habitants parlent dans la vie courante le soqotri. Pour faciliter les contacts avec le monde extérieur, les habitants parlent également l’arabe, mais de nombreuses personnes dans les zones les plus reculées de l’île ne connaissent que le soqotri. Les guides parlent parfois l’anglais.
MétéoSocotra bénéficie d’un climat tropical désertique. Il n’est pas recommandé d’y aller l’été entre juin et septembre (sauf pour surfer), car l’île est soumise à la « mousson des vents », faisant naître de violentes tempêtes de sable ! En décembre et janvier, il fait plus frais (28°C en moyenne) mais le ciel sera souvent couvert. A partir d’avril, les températures deviennent plus difficiles à supporter (plus de 30°C en moyenne).
ArgentLa monnaie locale est le riyal yéménite (YER), mais les euros et les dollars sont acceptés sur Socotra. Il n’existe pas de distributeur automatique ni de possibilité de payer par carte bancaire, il faut donc bien prévoir son budget avant d’arriver. Par contre, on peut échanger sa monnaie contre des riyals dans la capitale Habidoh auprès de la CAC Bank ou de la National Bank. Pour avoir une idée sur le coût de la vie sur place, je vous invite à consulter cet article très complet sur Paletu, mais attention, les prix sont de 2013 !
NourritureLa base du menu soqotri consiste en un bon poisson fraîchement pêché, du poulet ou de la chèvre, accompagné de patates ou de riz et du traditionnel pain plat arabe. Il existe un seul restaurant, aussi préparez-vous à manger avec les locaux, et acceptez les tasses de thé offertes ! L’alcool est quant à lui interdit. Quelques épiceries permettent de faire les achats de base. Enfin, prenez avec vous le plus d’eau possible en partant de Hadiboh, point de départ de toute expédition : l’eau du robinet n’est pas potable et la région subit de fortes pénuries d’eau.
ConnectivitéL’électricité ne fonctionne en ville qu’à partir de la fin d’après-midi jusqu’au lendemain matin. Des panneaux solaires sont utilisés dans certains campings mais pas tous. Le meilleur moyen de ne pas être à court est de profiter de la prise allume-cigare de la voiture ! La couverture réseau se restreint à Hadiboh et quelques petites parties de l’île, et les téléphones ne fonctionnent qu’avec le système radio CDMA. A moins que vous n’ayez un téléphone russe ou venant des États-Unis, vous avez probablement un téléphone qui fonctionne avec le système GSM, donc incompatible. Le wifi est rare et très peu performant.
SantéIl n’y a pas de vaccin obligatoire à faire mais ceux de base sont (fortement) recommandés. Une épidémie de choléra est actuellement en cours au Yémen (information de 2019). Attention également aux moustiques, qui véhiculent paludisme, dengue et compagnie! A moins de vouloir vous transformer en buffet à volonté, il est conseillé de se munir d’un spray pour être tranquille le soir. Niveau infrastructures, il n’y a qu’à Hadiboh qu’on peut trouver un hôpital avec des soins basiques et des médicaments (Sheikh Khalifa Hospital).
Coutumes localesDes habits couvrants et amples sont de rigueur. Pour les femmes, le voile n’est pas indispensable, l’île étant assez tolérante, mais il vaut mieux en avoir un sur soi au cas où quand on va dans les zones rurales. Socotra, en tant que terre musulmane, accorde beaucoup d’importance au respect et à la courtoisie. Saluez les locaux (les personnes âgées en premier s’ils sont en groupe), respectez les moments de prière, déchaussez-vous avant d’entrer chez l’habitant, et demandez toujours la permission pour prendre une photo. Socotra.info a publié une liste détaillée sur les impairs à éviter.
Homard à Socotra
Manger du homard sans se ruiner ? C’est possible à Socotra ! © HopeHill / Flickr / CC BY 2.0

Un peu de logistique…

Comment on va à Socotra ?

IMPORTANT
Après avoir subi en 2018 un blocus aérien, maritime et terrestre de l’Arabie Saoudite (qui est en guerre contre le Yémen), Socotra semble se rouvrir doucement. Ce n’est cependant PAS une destination touristique : tout déplacement au Yémen est à proscrire jusqu’à nouvel ordre.

Yemenia Airways a rétabli une liaison aérienne entre Le Caire et Socotra les mercredis (500 € l’aller-retour), avec une escale à Say’un. Même si c’est cher, choisissez la voie aérienne plutôt que le bateau, sauf si vous n’avez pas peur des pirates. Une nouvelle agence de voyage Socotra-Adventures permet aux touristes de partir du Caire en voyage organisé.

Le visa touristique, obligatoire, doit se procurer auprès du consulat ou de l’ambassade du Yémen avant d’arriver sur le territoire. Par mesure de protection, plus aucun visa touristique n’est délivré aux postes-frontière depuis 2010 et les ambassades refuseront probablement de vous en délivrer un. Attention, si vous avez sur votre passeport actuel un tampon israélien, l’entrée au Yémen est purement et simplement refusée ! Il est important de savoir que plusieurs ambassades occidentales ont fermé au Yémen, y compris celle de la France. Les compétences de vos patries respectives sont donc extrêmement limitées en cas de pépin.

Lagon de Detwah, Socotra
Le lagon de Detwah vous récompensera de l’effort déployé pour obtenir un visa ! © Gerry & Bonni / Flickr / CC BY 2.0

En ce qui concerne les transports sur place, vous pouvez toujours tenter les transports en commun, mais les bus passent à des horaires approximatifs et ne desservent que la partie nord de l’île. En général, les voyageurs qui sont allés à Socotra avant la guerre louaient un 4×4 avec chauffeur. Actuellement, le carburant se fait rare et le gasoil est pratiquement introuvable. Le gouvernement français conseille de se munir d’un réservoir de secours.

Où dormir à Socotra ?

Les seuls hôtels de l’île se situent à Hadiboh. Il s’agit de Taj Socotra Tourist Hotel et de Socotra Holiday. Adeeb Beach House Hotel, non loin sur la côte, a été ravagé par le cyclone Mekunu en mai 2018. Aucun de ces hôtels ne possède de site web dédié. Avant la guerre, il y en avait plus que cela, aussi faut-il surveiller les possibles nouvelles ouvertures lorsque vous aurez besoin de réserver vos nuitées.

Plateau de Firmhin, Socotra
Quand on dort à la belle étoile sur le plateau Firmhin, la silhouette des arbres se transforme en monstres imaginaires (moi je vois un gros lézard, et vous ?) © Valerian Guillot / Flickr / CC BY 2.0

L’hébergement le plus couru de Socotra, c’est le camping ! Il existe plusieurs zones, principalement près des plages, où vous pouvez passer une belle nuit, la tête dans les étoiles, tout en écoutant le bruit des vagues. Ces sites de camping sont : Delisha, Homhil, Arher, Omak, Wadi Dirhur, Detwah, Demhari, Amek, Da’aharoh, Ayhaft (sans parler des sites de camping sauvage, puisque c’est autorisé).

A faire sur place

Il y a beaucoup de choses à expérimenter à Socotra ! Quoi que vous décidiez de faire, il est important d’engager un guide si vous ne connaissez pas les environs, de préférence natif de l’île. Il en va de votre sécurité, car l’île n’est pas pensée pour les touristes, et on peut vite se perdre ou se retrouver à court d’eau sans connaître l’emplacement des sources les plus proches. D’autre part, un guide vous permettra d’aborder plus facilement la population grâce à ses talents de traduction et ses explications sur les coutumes locales.

L’activité phare pour découvrir la diversité étonnante de Socotra est, bien entendu, la randonnée. Un sport à ne pas faire en solo, car les sentiers ne sont pas balisés ! C’est l’occasion de partir à la rencontre d’animaux et plantes rares, de côtoyer des dromadaires et de vous enfoncer dans une des grottes disséminées sur l’île comme la Hoq Cave (décidément, j’ai un truc avec les grottes, j’aime probablement me faire du mal à cause de ma claustrophobie…). L’île comporte des zones montagneuses, des vallées, des plateaux, mais aussi de magnifiques plages. Si vous êtes du genre à vous lasser vite des paysages monotones, c’est un endroit parfait pour vous !

Vautour égyptien, Socotra - Yémen
Un vautour égyptien interloqué par la présence de touristes. © Gerry & Bonni / Flickr / CC BY 2.0

En parlant de plage, j’espère que vous aimez l’eau car il y a une foule de choses intéressantes à y faire : le snorkeling et la plongée sont, parait-il, fabuleux. Si en plus vous aimez nager avec les requins et les dauphins, vous risquez d’en croiser. Une agence peut aussi vous arranger un petit tour sur un bateau avec des pêcheurs du coin pour regarder comment ils travaillent. Si vous êtes adepte de la planche de surf, les vagues sont très alléchantes pendant la période de la mousson des vents (à réserver aux surfeurs expérimentés !). Vous pouvez même continuer à faire de la planche sur terre et réaliser l’un de mes plus gros fantasmes (sans rire, ça doit être dans mon top 5 des choses que je veux tester à tout prix), car il y a de superbes dunes d’un blanc éclatant à dévaler tout schuss !

Il y a de nombreux endroits incontournables, du lagon de Detwah (un superbe dégradé de couleurs près de Qalansiya, la seconde plus grande ville) au point d’eau de Kalysan (un homme vit reclus dans une grotte proche depuis 45 ans !), en passant par le plateau de Dixam (plein de Dragonniers de Socotra à voir)… Pour prendre le pouls de l’île, il faut mieux rester au moins une dizaine de jours pour en faire le tour et vous intégrer un peu auprès de la population, qui sera ravie de voir que vous prenez le temps de vous intéresser à leur quotidien !

Focus sur… le Dragonnier de Socotra

Dotés d’une allure improbable permettant de mieux capter l’humidité, ces arbres (Dracaena Cinnabari de leur petit nom latin) sont typiques de l’île et poussent dans les zones montagneuses où le brouillard est plus fréquent. Ils peuvent vivre jusqu’à 5 000 ans ! Ils produisent une résine appelée sang-dragon utilisée depuis l’Antiquité : elle occupe une place importante dans la pharmacopée locale (apaisement des douleurs, cicatrisation…), mais est aussi utilisée en tant que cosmétique ou teinture (pour vernir les violons par exemple). Aujourd’hui, ces arbres fièrement dressés vers les cieux souffrent de l’assèchement général de l’île et sont de moins en moins nombreux.

Plateau de Dixam, Socotra
Les magnifiques Dragonniers de Socotra sur le plateau Dixam. © Javarman / Adobe Stock

Une belle légende accompagne ses arbres au profil plutôt extravagant :

 » Il y a bien longtemps, la fille d’un puissant sultan tomba gravement malade, et aucun médecin ne parvenait à la soigner. Désespéré, le sultan promit à quiconque lui apportait un remède efficace de lui offrir la récompense de son choix. Un jour, un homme se présenta au sultan et lui dit qu’il connaissait une île où poussait un fruit capable de guérir n’importe quelle maladie. Il n’avait besoin que d’un bateau solide et d’une épée aiguisée, car la rumeur racontait qu’un dragon régnait sur l’île. Plein d’espoir, le sultan accéda favorablement à sa requête.

L’homme se mit en route et, après avoir défié une mer capricieuse, accosta l’île. Il trouva l’arbre sur lequel poussait le fruit tant désiré (une grenade) et le cueillit. Mais un vent étrange se leva : le dragon apparu ! Effrayé, l’homme tira son épée et l’abattit sur une aile, la tranchant net. Le dragon, furieux, lui dit que ce fruit soignera n’importe quelle maladie, mais que si l’homme revenait pour en voler un autre, le fruit perdrait son pouvoir. Puis il s’envola, répandant des gouttelettes de sang sur l’île qui firent naître les premiers Dragonniers de Socotra.

La princesse put guérir grâce au fruit, et l’homme demanda au sultan la main de sa fille comme récompense. Ils vécurent heureux mais cela ne lui suffisait pas : l’homme voulait plus de fruits pour les revendre. Oubliant l’avertissement du dragon, il partit à nouveau sur l’île, accompagné de sa femme, et cueillit un second fruit. Mais la grenade, autrefois si sucrée, devint acide. Se remémorant les paroles du dragon, l’homme comprit la gravité de ce qu’il avait fait, et décida de rester sur l’île avec la princesse au lieu de rentrer chez lui. La légende raconte qu’ils devinrent les premiers Soqotris. »

Récit rapporté par le journaliste Jonah Kessel sur son blog, à présent hors ligne.

C’est comment de vivre à Socotra ?

Se débrouiller avec deux bouts de ficelle

Le Yémen est l’un des pays les plus pauvres du monde, mais Socotra est encore moins développée. La population travaille dur pour trouver de la nourriture : certains vont pêcher, d’autres sont semi-nomades et accompagnent leurs troupeaux sur de longues périodes dans les zones de pâturages. Comme il n’y a pas d’agriculture sur l’île, les Soqotris doivent se contenter de peu et mangent rarement des fruits et légumes, pour la plupart trop chers car importés depuis le continent. Seul le poisson est exporté à l’extérieur, ce qui ne suffit pas à garantir un niveau de vie correct à la population locale. Socotra survit essentiellement grâce au support du Yémen et d’ONG et rencontre de nombreux problèmes liés au manque d’infrastructures dans les domaines de la santé, de l’éducation, mais aussi de l’acheminement d’électricité et de l’assainissement de l’eau. Il n’y a aucune industrie sur l’île ni d’entreprise de grande échelle.

Bouteilles de gaz, Socotra
Une réserve de bouteilles de gaz en piteux état. © Rod Waddington / Flickr / CC BY SA 2.0

Bien qu’éloignée des côtes, Socotra est une victime collatérale de la guerre au Yémen. En 2016, les Émirats arabes unis ont envoyé des avions de ravitaillement contenant nourriture et générateurs d’électricité, car le Yémen ne peut plus subvenir aux besoins de l’île. Comme si cela ne suffisait pas, l’île a été fin 2015 touchée par deux cyclones successifs dévastateurs, phénomène pourtant très rare dans cette région du globe, tuant 14 personnes et détruisant des milliers de maisons. En mai 2018, Socotra est classée en état de catastrophe naturelle après le passage d’un nouveau cyclone

Un équilibre fragile entre protection du patrimoine naturel et humain

Pour survivre, l’île compte beaucoup sur l’essor du tourisme dans un futur proche, mais paradoxalement c’est aussi ce qui pourrait causer sa perte. Ayant été coupée du reste du monde jusqu’en 1999 avec l’ouverture de l’aéroport, Socotra est obligée de rattraper en quelques années une avancée qui a été bien plus progressive dans d’autres pays. Pour accueillir des touristes, Socotra doit développer son réseau routier, sa capacité d’hébergement, son accès à l’eau potable, son réseau électrique, et tout cela parfois au détriment de la faune locale. L’île est convoitée par des constructeurs du continent mais aussi par d’autres nations, pour le meilleur et pour le pire.

Jeunes femmes de Socotra
Quel avenir pour les jeunes de Socotra ? © Gerry & Bonni / Flickr / CC BY 2.0

Afin de faire face à ces transformations indispensables pour garder la tête hors de l’eau, les habitants ont dû se mettre à l’apprentissage de l’arabe, mettant à mal la transmission de la langue soqotri qui est classifiée en péril. Les contacts avec le monde extérieur se font uniquement en arabe (TV et radio comprises), ce qui crée une rupture très rapide. A l’échelle d’une vie, les personnes les plus âgées de Socotra voient leur langue maternelle décliner, résultant en une impossibilité d’échanger avec les habitants plus jeunes qui deviennent de moins en moins capables de tenir une conversation en soqotri. La transmission de savoirs ancestraux est ainsi menacée, tout comme l’unité des habitants. Des tentatives de préservation de la langue ont été entreprises, comme la création d’une retranscription écrite de la langue par un groupe d’experts russes, mais cela risque de ne pas être suffisant pour empêcher le soqotri d’entrer dans la famille des langues mortes. Pour écouter quelques brides de cette langue et entendre les sons de l’île, rendez-vous sur la page Soundcloud de Myke Dodge Weiskopf !

L’arrivée du tourisme (s’il se développe un jour) est donc à double tranchant : faudra-t-il sacrifier le patrimoine unique de l’île pour permettre aux habitants de sortir de la pauvreté ? En attendant, la magnifique et sauvage Socotra met l’accent du l’écotourisme, une solution à la fois respectueuse de l’environnement et des besoins économiques de l’île. Mais a-t-elle vraiment voix au chapitre quand son propre pays souhaite la mettre en location au créateur de Dubaï sans consultation préalable ? Quoi qu’il en soit, voici une vidéo capturant l’image de Socotra, telle qu’elle était en 2010.

En conclusion, Socotra est faite pour vous si :

  • Vous aimez avoir des paysages « tout-en-un »
  • Vous avez envie de vous sentir ailleurs que sur Terre
  • Vous voulez découvrir une culture qui évolue en autarcie depuis des milliers d’années
  • Vous êtes biologiste ou zoologue dans l’âme
  • Vous voulez vous balader dans les dunes sans vous enfoncer dans un désert immense
  • Vous n’êtes pas trop regardant sur la variété de nourriture disponible

Pour aller plus loin

Wikipédia : page Wikipédia sur Socotra (FR)
Diplomatie.gouv : la page du gouvernement sur la situation au Yémen (FR)
National Geographic : carnet de voyage à Socotra (FR)
Socotra OverBlog : le blog complet d’une géographe française passionnée par Socotra (FR)
Wikitravel : la page Wikitravel de Socotra (EN)
Paletu : article détaillé sur le budget nécessaire sur Socotra. Consultez aussi son carnet de voyage rempli de photos ! (EN)
Al Jazeera : quelques photos de Socotra et de sa population (EN)

Crédit photo :  © Rod Waddington / Flickr / CC BY SA 2.0